mercredi 16 juillet 2014

[Critique] 50 nuances de Grey, Fifty shades of Grey


Devant l'immense succès du livre d'EL James, une critique constructive et objective s'impose. Ici je n'ai pas la volonté d'effectuer un massacre (on retire donc les "C'est pour les filles!! C'est du porno pff !!") ni celle d'aller dans un excès pour enjoliver le best-$eller (OMG, génie! Education sexuelle!).

Bien plus, il faut en expliquer les "clés", le fonctionnement, la structure. En clair, le cheminement effectué pour parvenir à un produit addictif, stimulant et surtout, lucratif!
La méthode suivie est donc simple: d'un côté les bons côtés, la manière de concevoir une histoire agréable à lire avec passion. De l'autre, les travers de l'oeuvre, des futilités aux absences.


Pourquoi ça marche?
Quelles sont les "clés" utilisés par EL James?
Quelles sont les limites?


Avant de lancer le débat, un "debrief" rapide doit avoir lieu. Cinquante nuances de Grey, késako?
 Il s'agit de l'histoire passionnée entre le mec idéal (riche, beau, etc.) qui possède des us et coutumes anormales (faudrait-il encore situer la norme..) comme le bondage, le SM.. ET une jeune femme tout à fait banale (normale?) qui va se "découvrir" dans cette relation passionnée.

Atmosphère, atmosphère.. Premier terme à retenir, celui de l'ambiance. En effet règne dans ce fifty shades of Grey une ambiance pesante dès le début: aucune phrase, aucun mot n'est choisi au hasard. Attribuer cette qualité à un écrivain lambda paraît presque un affront pour la littérature classique qu'on connait tous. Néanmoins, les faits sont là..on ne parle pas d'entrer dans une salle, d'ouvrir quelque chose ; mais on parle bien de "pénétration", on pénètre dans une rue, dans une salle, un peu partout à vrai dire. Un vaste champ lexical érotique est mis en place par l'auteur qui cherche, dès le début, à nous faire imaginer une relation intime. Une énumération semble ici superflue.
 L'idée d'un futur coquin est volontairement placé dans notre esprit. 

Je suis A.Steele. Qui plus est, l'oeuvre est pré-destiné à séduire un public féminin..on imagine d'ici un simple tableau fait par l'auteur où figure l'homme parfait selon plusieurs critères: C.Grey, à cet égard, est la quintessence du "parfait". Ce Pretty Woman du XXIè siècle est niais, soyez-en sûrs. Pourtant, la niaiserie n'est que le péché mignon d'une ado, d'une femme. Public féminin certes, il est également en partie universelle. En effet, l'homme qui écrit ces lignes s'est donc simplement trompé de casting en le lisant? Non! Sa formation (en chapitres plus ou moins homogènes et épais) fait que chaque chapitre est assez volumineux pour être intéressant en soi, mais possède également une chute (tout se décante dans les dernières pages) incitant à lire un nouveau chapitre. Classique me direz-vous! Oui et non: ici s'ajoute un intérêt tout à fait vicieux, moi lecteur je veux savoir jusqu'où le "jouet" A.Steele peut aller pour C.Grey. En identifiant forcément une personne de son entourage ou soi-même en tant qu'A.Steele (par ses étourderies, sa timidité, sa rentrée dans le monde du travail..) moi lecteur je veux savoir ce qu'il va m'arriver.

Je suis intelligent. Un gros bon point à remarquer. Chose rare dans des livres tout-public ou presque, les références culturelles. Cinquante nuances de Grey déroge à la règle puisqu'elles sont présentes. On parle par exemple de Tess d'Uberville, ou de musique classique (l'excellent Pachelbel, Chopin, Beethoven..). Ainsi en lisant ce livre, plusieurs catégories de personnes apparaissent. D'un côté ceux qui vont aller fouiller sur internet pour trouver les références / ceux qui ne vont pas y aller, mais qui trouvent ça quand-même sympa ce "plus" / ceux qui s'en "pignolent le salsifi".

Fluidité = rapidité = efficacité ? De même, le style d'écriture est un point faible mais également le point fort: le langage est courant, voir familier, orienté volontairement "jeune" il permet une identification rapide pour le public ciblé, en plus de fournir une certaine fluidité (on ne bute que très rarement sur un mot), et donc une rapidité de lecture "si je l'ai vite lu, alors il s'agit d'un bon livre"

..fluidité et rapidité ne rime pas forcément avec qualité! Outre le fait de me fournir une transition toute trouvée, cela permet de regarder la face cachée du livre.

La description inutile.  La description utile est nécessaire pour nous permettre de faire émerger l'atmosphère adéquate pour lire le livre. La description inutile agace. Personnellement j'ai survolé plusieurs pages car elles ne font que décrire des choses dont je n'en n'ai que faire (je parle ici de plusieurs loooooongues hésitations, d'incertitudes d'A.Steele surtout). Là où un public féminin peut encore s'identifier, un homme s'y perd. Pire encore il décèle les failles du système EL James.

Pauvreté du "Verbe". La principale faille concerne la pauvreté du récit, de langage. Rien, hormis le sexe et quelques passages sur C.Grey n'est palpitant. Bien que l'assurance du milliardaire, son charisme, sa prestance,  ainsi que sa position de dominant sont autant d'éléments intéressants à étudier ; plusieurs dizaines de pages sont fantomatiques et semblent réellement faites pour rallonger l'histoire plutôt que la diversifier.

Une relation idyllique, un homme introuvable. La relation semble tout aussi fumeuse que celle de Pretty Woman: quels sont les pourcentages de chances pour qu'un homme milliardaire, beau, jeune tombe amoureux d'une jeune femme lambda?
Par ailleurs, un milliardaire jeune, beau, qui fait craquer toutes les filles rien qu'avec son regard m'interpelle également.. avec une pointe de jalousie ironique, cela est-il possible?  C'est possible. Pour cela il doit être très charismatique, avoir une prestance folle, correspondre au "genre" de toutes les filles..bref ce n'est pas forcément le voisin d'en face en définitive. 

Il est évident que la vie peut-être un songe, pour parodier Calderón  mais la lucidité n'est pas qu'un défaut. Rêver ne doit pas influencer à ce point le jugement. EL James nous vend du rêve (et se vend à elle-même du rêve sans doute), mais ne pose pas les limites, de bémols pour nuancer d'au moins une et non cinquante, cette histoire. 
Ce livre ne fait guère office de traité d'éducation ou de trajectoire à suivre pour son épanouissement sexuel. Chacun doit apporter un regard critique et ne pas imaginer que le bondage, le SM, la fessée punitive sont désormais des principes à adopter pour une vie sereine. 
Cependant l'inverse n'est pas vrai non plus. Il ne faut pas voir dans ce livre le péché,  l'impur, un livre dangereux pour l’éducation sexuelle des ados. Ne prenons pas les personnes pour des idiots..il y a la part qui est tolérable et plus ou moins passionnée ; il y a la part qui appartient à C.Grey.



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